Loi Maria da Penha : la Législation impose une nouvelle culture

De la rédaction

05/03/2015 à 22:45, Jeudi | Mis à jour le 22/09 à 16:57

Les autorités et la société s’emploient à améliorer la Loi Maria da Penha, qui est depuis 2006 un puissant instrument de protection des femmes contre la violence conjugale et familiale au Brésil. 

Études, rapports et statistiques internationales montrent que la violence faite aux femmes est la forme la plus répandue d’agression dans le monde. Les filles, les femmes et les femmes âgées en sont victimes, indépendamment de leur pays, ethnie, classe sociale ou niveau scolaire.

Selon les Nations Unies (ONU), près de 70% des femmes dans le monde ont subi une forme de violence au cours de leur vie. Le problème ne se limite pas à des cultures, des nations ou des groupes sociaux en particulier. Selon l’ONU, « les racines de la violence contre les femmes se trouvent dans la discrimination persistante à leur égard. » Par conséquent, il est essentiel pour lutter contre cette pratique condamnable de renforcer les lois nationales de protection des femmes, et de promouvoir de plus en plus de campagnes de sensibilisation et de mobilisation sociale autour de la question.

Eny Miranda

Au Brésil, depuis que la Loi 11.340 a été sanctionnée le 7 août 2006, par le président en exercice, Luiz Inácio Lula da Silva, la réalité procédurale des crimes de violence conjugale et familiale a changé, en particulier ce qui est de la punition de l’agresseur. Baptisée Loi Maria da Penha, en hommage à la biochimiste pharmacienne Maria da Penha Maia Fernandes, dont l’histoire a inspiré la nouvelle législation, elle crée des mécanismes plus stricts pour réprimer et prévenir la violence faite aux femmes et introduit des changements dans le Code pénal et dans la Loi d’Exécution des peines. Avec cette avancée, le pays a vu la naissance d’un ordonnancement juridique qui répond également à la volonté de la société internationale, aux engagements pris dans les traités et conventions depuis plus de dix ans. « Son contenu, discuté et débattu largement dans tous les États de la Fédération, les assemblées législatives, les conseils municipaux et avec les experts, a été travaillé de manière à ne pas laisser de brèches. Aujourd’hui, quand j’analyse l’apparition de l’ample réseau de protection qui a été inséré dans la loi, je vois que tout cet effort a valu la peine », rappelle Mme Jandira Feghali, députée et rapporteuse de la loi à la Chambre des députés Fédérale.

Pour la parlementaire, la nouvelle loi assure que « les pouvoirs publics développeront des politiques visant à garantir les droits universels des femmes dans les relations conjugales et familiales, les protégeant contre toute forme de négligence, de discrimination, d’exploitation, de violence, de cruauté et d’oppression ».

La plus grande conquête de la Loi Maria da Penha, de l’avis de Schuma Schumaher, pédagogue, coordinatrice exécutive du Réseau du développement humain (REDEH) et co-auteur du Dictionnaire des femmes du Brésil et de Femmes noires du Brésil, a été que « l’État assume sa responsabilité ».

Carte de la violence

Nathália Valério

Pédagogue Schuma Schumaher

Les données recueillies pour la « Carte de la violence 2012 : meurtres de femmes au Brésil » impressionnent. Selon l’enquête — coordonnée par le sociologue Julio Jacobo Waiselfisz, avec le soutien du Centre brésilien d’études latino-américaines (CEBELA) et la Faculté latino-américaine de Sciences Sociales (FLACSO) —, le Brésil a souffert plus de 90 000 décès de femmes victimes d’agressions au cours des 30 dernières années ; actuellement, le pays occupe le 7e rang du classement pour le taux d’homicide de femmes, sur une liste de 84 pays. L’étude a utilisé les informations provenant des certificats de décès et les données de l’Organisation mondiale de la Santé (OMS).

Ce cadre, disent les experts, n’invalide pas les progrès significatifs réalisés dans la criminalisation de la violence conjugale. Mais tous conviennent qu’il faut investir de plus en plus dans l’appareillage des organismes publics spécialisés, au service des dénonciations et des condamnations, qui présentent encore des indices faibles par rapport au nombre de cas signalés.

« C’est effrayant ! Nous vivons un drame dans ce pays par rapport à ce qui arrive aux femmes, ce qu’on appelle la violence familiale, qui est pratiquée par des personnes avec qui elles entretiennent des relations affectives... », déclare la pédagogue Schuma Schumaher. Pour elle, la société devrait avoir honte de ce drame, des chiffres qui placent le Brésil à un triste niveau, « pour que nous puissions investir dans l’école, dans nos enfants, pour qu’ils commencent à apprendre l’importance de la paix dans les relations entre les personnes ».

Cadú Gomes/Agência Estado

L’inégalité des genres et la violence faite aux femmes et les filles exigent également un fort engagement social et économique. La sénatrice Lúcia Vânia dit que ce tableau « possède un visage et des chiffres », en citant des données de la Banque interaméricaine de développement (BID) de septembre 2011. « Selon l’étude, une journée sur cinq d’absence du travail dans le monde est causée par la violence subie par les femmes chez elles. Le viol et la violence conjugale sont des causes importantes d’invalidité et de décès en âge productif. Une femme qui subit la violence conjugale gagne généralement moins que celle qui ne vit pas dans une situation de violence. »

Ce même rapport de la BID a estimé le coût total de la violence conjugale pour l’économie d’un pays : entre 1,6% et 2% du PIB (produit intérieur brut) ce qui, dans le cas du Brésil, représente autour de 160 milliards de reais (80 milliards de dollars environ).

La consolidation de la loi

La juge Ana Cristina Silva Mendes, responsable de la 1ère Chambre spéciale pour la violence conjugale et familiale à l’égard des femmes au tribunal de la ville de Cuiabá, au Brésil, et membre de la Commission parlementaire du Forum national des juges de la violence conjugale et familiale à l’égard des femmes (Fórum Nacional de Juízes de Violência Doméstica e Familiar contra a Mulher — Fonavid), estime que le pays passe par des changements significatifs et des ruptures de paradigmes. « La loi a retiré ce problème de la sphère privée (...). Le vieux cliché qui dit que dans une dispute entre le mari et la femme, on ne met pas son grain de sel, n’est plus vrai. Aujourd’hui, le gouvernement met son grain de sel », déclare-t-elle.

Selon la magistrate, la décision de la Cour suprême fédérale (Supremo Tribunal Federal — STF) en février 2012, qui a donné au procureur le pouvoir de dénoncer l’agresseur dans le cas de violence conjugale, même si la femme abandonne l’accusation, renforce l’applicabilité de la loi. Dans la norme d’origine, l’agresseur n’était poursuivi que si la femme avait déposé une plainte formelle. « C’est une ligne de partage des eaux. Les arguments que certains opérateurs du droit insistaient encore autrefois à conserver se sont effondrés. La décision rend l’application des sanctions plus rigoureuse. Le STF est arrivé et a dit : les femmes en situation de vulnérabilité doivent être soutenues et prises en charge, et pour cela, l’État va intervenir avec une action pénale publique et inconditionnelle. »

Mme Silva Mendes attire l’attention sur le projet de réforme du Code pénal brésilien* qui est en cours d’examen au Sénat Fédéral : « Notre plus grande crainte est que tout ce processus soit mis à bas, (...) parce que la ligne maîtresse de notre ordonnancement juridique pour la punition est le Code pénal brésilien, c’est là que sont contenus les crimes. Donc, si la question de la violence est traitée de manière trop subjective, au point d’être exclue de la typification, alors nous pouvons nous retrouver dans de mauvais draps ».

La juge mentionne également que la structure du réseau de prise en charge prévu par la loi se révèle déficitaire, voire, qu’elle indique des lacunes du système judiciaire. « Nous avons besoin d’un plus grand nombre de commissariats spécialisés et un meilleur dispositif pour cette prise en charge, il y a des États qui sont extrêmement timides à ce sujet », affirme-t-elle.

Le portail et la campagne du gouvernement fédéral

Arquivo

Cette même préoccupation vis-à-vis de cette question a conduit le Secrétariat spécial chargé de politiques pour les femmes (Secretaria de Políticas para as Mulheres — SPM) et le Ministère de la Justice à lancer en août 2012, le portail Engagement et Attitudes pour la Loi Maria da Penha. Destiné aux opérateurs de la Justice, le site rassemble des données diverses, les doctrines et la jurisprudence sur la loi.

Outre ce portail, la campagne Engagement et Attitudes pour la Loi Maria da Penha — La Loi est plus forte, divulguée auprès du public à la même époque, travaille pour accélérer les jugements, garantir l’application correcte de la loi, mobiliser la société et promouvoir une action conjointe entre le gouvernement et la justice pour réduire l’impunité dans les cas de violence contre les femmes.

Malgré les progrès réalisés avec la promulgation de la nouvelle loi le défi est de faire en sorte que les agents de divers secteurs, les pouvoirs constitués et la propre société civile collaborent de manière coordonnée. En outre, il faut travailler fortement pour un changement de culture, une mesure qui a dans l’éducation son principal agent. Dans ce sens, la pédagogue Schuma Schumaher a loué l’initiative de la Légion de la Bonne Volonté de travailler sur le thème de la paix et de l’égalité entre les genres de manière préventive, à la fois en classe et lors des conférences organisées dans les centres communautaires d’assistance sociale de l’Institution. « Nous nous investissons comme vous dans cette contribution. Toutes mes félicitations à la LBV pour son engagement ! Si chacun, homme ou femme, peut apporter sa contribution, nos enfants nous en seront reconnaissants à l’avenir. »

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* Pour moderniser le Code pénal brésilien de 1940, une commission de quinze juristes a élaboré le texte du projet de loi transmis au Sénat Fédéral. Le matériel propose des altérations liées à la cybercriminalité, la consommation de drogues et la prostitution, entre autres. La réforme du code a causé des désaccords techniques, politiques, moraux et religieux. Le projet de loi a déjà plus d’un millier d’amendements et rassemble près de sept mille suggestions de la population.