Briser le silence

Une étape importante pour combattre la violence envers les femmes

Sandra Albuquerque Fernández

03/02/2014 à 11:11, Lundi | Mis à jour le 22/09 à 16:57

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Sandra Fernandez, sociologue, New York/États-Unis.

À chaque période de l’histoire, il y a toujours eu un moyen d’exposer la femme à une certaine forme de violence. Le cinéma a consacré le stéréotype de l’homme préhistorique qui, quand il voulait s’accoupler, entraînait la femelle dans la grotte en la tirant par les cheveux et lui cognait la tête pour l’étourdir et assouvir alors sa nécessité biologique. De fait, cet être se laissait guider par son instinct reproducteur. En dépit de millénaires d’évolution humaine, le sens de la civilité ne semble pas encore exister dans les attitudes de beaucoup d’hommes qui se disent rationnels. Imaginez, cher lecteur, que pendant que vous lisez ce paragraphe, partout dans le monde, des milliers de filles et de femmes subissent un type d’agression — physique, sexuelle, psychologique, économique — ou sont assassinées.

L’Organisation des Nations Unies (ONU) définit, dans sa résolution de l’Assemblée générale, en 1993, la violence à l’égard des femmes : « tous [les] actes de violence dirigés contre le sexe féminin, et causant ou pouvant causer aux femmes un préjudice ou des souffrances physiques, sexuelles ou psychologiques, y compris la menace de tels actes, la contrainte ou la privation arbitraire de liberté, que ce soit dans la vie publique ou dans la vie privée. »

Selon les études, la plupart des crimes contre les femmes se produit en secret dans le propre milieu familial. Bien qu’une telle contrainte représente une pratique ancienne, les lois ou les actes juridiques réglementant la punition des auteurs de l’agression sont relativement nouveaux dans le code pénal de nombreux pays.

La violence à l’échelle mondiale

Les statistiques mondiales montrent que la violence contre les femmes et les filles reste très présente dans la vie quotidienne. Elle fait plus de victimes que les conflits armés. C’est une réalité, de même que l’inégalité de genre, dans toutes les cultures, dans les relations de travail, dans le contexte de guerres civiles et entre les nations et da

ns les relations affectives, qui ne connaît pas de frontières. La traite des êtres humains, en particulier l’exploitation sexuelle et la traite des femmes, acquiert des contours dramatiques, qui en font l’un des commerces illicites les plus lucratifs aux côtés de la vente d’armes et de drogues.

La violence est la principale préoccupation des citoyens en Amérique Latine et dans les Caraïbes, selon le rapport « État des villes d’Amérique latine et des Caraïbes », publié en août 2012 par le programme des Nations Unies pour les établissements humains (ONU-Habitat). La région enregistre les taux d’homicides les plus élevés du monde, qui dépassent le chiffre de 20 cas pour 100 000 habitants, alors que la moyenne mondiale est de 7 pour 100 000. Selon le document, le crime organisé et la violence conjugale contre les femmes sont responsables en grande partie de ces indices.

En Europe, une femme sur quatre a été agressée à la maison au moins une fois dans sa vie. En France, depuis 2009, pendant que la criminalité a diminué, au cours de la même période le nombre de cas de violence contre le sexe féminin a augmenté. Dans ce pays, une femme meurt tous les deux jours, victime de la violence dans un conflit conjugal.

Aux États-Unis, une femme est agressée toutes les 15 secondes, constate le FBI, la police fédérale nord-américaine. Selon un rapport national de statistiques de la criminalité, appelé Uniform Crime Reports, moins de la moitié des incidents sont signalés à la police et un tiers des auteurs de féminicides sont des partenaires intimes.

Toujours aux États-Unis, une enquête montre que les enfants habitués à un environnement de violence paternelle sont dix fois plus susceptibles de devenir des agresseurs à l’âge adulte (Family violence: Interventions for the justice system, 1993).

Au-delà de la conséquence physique et morale (sur laquelle je reviendrai plus tard), il faut souligner que la violence conjugale coûte cher aux finances publiques. Pour les Américains, les dépenses dépassent les 5,8 milliards de dollars par an : 4,1 milliards de dollars pour les services médicaux et les soins de santé et près de 1,8 milliards de dollars en perte de productivité au travail et dans les fonds de pension (Costs of Intimate Partner Violence Against Women in the United States, 2003 Report, publication of the Departament of Health and Humain Services).

Au Canada, 34% des femmes victimes de mauvais traitements et 11% des victimes de harcèlement sexuel disent qu’elles ne peuvent pas travailler le lendemain de l’agression, ce qui génère des pertes de 7 millions de dollars canadiens par an (Greaves, 1995).

En 2008, une étude réalisée par le Centre pour le contrôle et la prévention des maladies des États-Unis a révélé que les dommages corporels intentionnels et l’homicide sont les principales causes de décès chez les femmes âgées de 15 à 34 ans. Ces informations sont d’ordre général et n’incluent pas le motif de la violence à l’égard des femmes, cependant, en les rapportant aux données fournies par le FBI, on vérifie que ces actes d’hostilité font plus de victimes chez les femmes que le cancer et les maladies cardiaques.

Pour la journaliste suisse Mona Chollet, la violence conjugale figure parmi les principales causes de mortalité chez les femmes. « Elle dégénère en meurtre quand un coup de trop est fatal à la victime, ou quand l’homme préfère l’assassiner plutôt que de la voir lui échapper – la période qui suit la décision de rompre a été identifiée, de même que la grossesse, comme l’un des moments où les compagnes d’hommes violents courent le plus grand danger. » (Chollet, dans l’article « Machisme sans frontière (de classes) », dans le journal français Le Monde Diplomatique, de mai 2005.)

Culture et justice sociale

La culture mythifie la figure de l’homme comme la principale cause des anomalies sociales. Hannah Arendt (1906-1975), philosophe politique allemande, dans le livre Du mensonge à la violence, a fait valoir que « Le pouvoir n’est jamais une propriété individuelle ; il appartient à un groupe (...) ».

La philosophe approfondit le concept de pouvoir pour le distinguer de la puissance, la force, l’autorité et la violence, mais, en transposant cette définition à la sphère de l’agression contre les femmes, nous pouvons comprendre que, même dans l’action violente d’un seul individu motivée par l’idée de pouvoir sur l’autre, il le fait en croyant à un ensemble de représentations imposées comme des vérités qui, malheureusement, lui disent que c’est là l’état naturel des choses.

Dès la naissance, la plupart des hommes partagent les mêmes concepts établis depuis des siècles et reproduits quotidiennement. La mentalité qui alimente la culture machiste résulte d’un solide héritage patriarcal, le même qui enseigne à l’homme qu’on ne pleure pas parce que c’est un signe de faiblesse, qu’il faut pratiquer un sport de macho pour montrer la virilité et le potentiel de la force masculine, qu’il ne doit pas aider aux tâches ménagères, parce qu’il s’agit d’une « chose de femme », après tout, il est l’homme de la maison, celui qui subvient aux besoins de la famille. Ces concepts et bien d’autres renforcent l’idée que pour réussir dans le monde, dans une société généreuse en privilèges et en avantages pour le genre masculin, y compris pour la question des salaires, l’homme a besoin d’être macho.

Il s’agit d’un cas d’« éternisation » de la culture, concept mis en évidence par le sociologue français Pierre Bourdieu (1930-2002) dans le livre La Domination masculine, qui, en d’autres termes, souligne les aspects de l’histoire qui semblent éternels. Selon lui, le travail d’éternisation a lieu à travers les institutions interconnectées chargées de l’accomplir, comme la famille, la religion, l’État, l’école, le sport, les médias. Donc, si ce sont les institutions interconnectées qui ont pour effet d’éterniser ces concepts, ceux-ci doivent être repensés dans le contexte éducationnel et de formation des filles et des garçons.

Le président de la Légion de la Bonne Volonté, journaliste, homme de radio et écrivain brésilien Paiva Netto, dans un document envoyé à l’ONU, en plusiers langues, lors de la 53e session de la Commission de la condition de la femme en mars 2009, a écrit : « Je réaffirme que la stabilité du monde commence dans le cœur de l’enfant. Pour cela, à la LBV nous appliquons, il y a tant d’années, la Pédagogie de l’Affection et la Pédagogie du Citoyen Œcuménique. (...) L’affection qui inspire notre ligne pédagogique, prise dans son sens le plus haut, est, au-delà d’un sentiment élevé de l’Âme, une stratégie politique, également comprise dans son caractère le plus noble, en consonance avec la Justice Sociale, comme une stratégie de survie pour l’individu, les peuples et les nations ».

Pour le dirigeant de la LBV, les enfants doivent être traités avec amour et respect, car, en fin de compte, ce sont les futurs leaders politiques, scientifiques et citoyens responsables de la transformation de l’histoire et de la perpétuation des concepts de justice sociale. « Le concept de Justice allié à la Bonté, jamais en connivence avec le mal. Il ne s’agit pas de nous transformer en complices de ce qui est mauvais, mais d’incorporer à l’Âme cette alliance élevée avec le sentiment de bienveillance qui naît du cœur humain, créé par Dieu qui, dans la définition de Jésus à travers Jean l’évangéliste, est Amour » (Paiva Netto.  Jésus, le Prophète Divin, 2011).

Et l’auteur continue, cette fois dans son ouvrage Il est Urgent de Rééduquer ! : « L’éducation, un thème qui est toujours à l’ordre du jour. Il est urgent de le répandre et que nous la considérions tous comme une voie sûre qui raccourcit la distance sociale entre les classes. C’est aussi un antidote efficace contre la violence, la criminalité, les maladies et tout ce qui annule également la croissance salutaire d’un peuple. »

Il est important d’observer, comme l’a souligné Paiva Netto, que c’est dans l’Éducation (avec son rôle de former des « Cerveaux et Cœurs ») que se trouve le pouvoir de raccourcir les distances. Si celles-ci existent, c’est parce qu’il n’y avait pas de cohésion entre les parties, c’est-à-dire, qu’ont été créés des espaces remplis d’anomalies qui génèrent des troubles sociaux, comme la violence multipliée à tous les niveaux et dans tous les secteurs de la société et l’impunité. Si ces espaces ne sont pas remplis avec les valeurs de « la Vérité, la Miséricorde, la Morale, l’Éthique, l’Honnêteté, l’Amour Fraternel — en bref, des constantes de la mathématique qui harmonise l’équation de l’existence humaine, mentale, morale et spirituelle (...) —, il nous sera difficile de réaliser une Société réellement Solidaire  », affirme l’auteur d’Il est Urgent de Rééduquer !.

L’espérance

J’ai une fois lu cette phrase : « Dieu sourit toujours quand naît un enfant ». Je pense que cette pensée montre un message important de confiance en l’avenir. C’est l’Espérance que Jésus nous a laissé dans son évangile selon Jean, 10 : 16 : « Et j’ai d’autres brebis qui ne sont pas de cette bergerie ; il faut que Je les amène, elles aussi ; et elles écouteront ma voix, et il y aura un seul Troupeau, un seul Berger ». Le Sublime Éducateur nous a laissé des messages vigoureux et inspirants, une invitation constante à la réflexion et à la pratique du bien, comme dans ce verset. Nous pouvons l’interpréter comme le souhait du divin Maître que nous ne perdions pas notre identité, et que nous atteignions tous la voix de l’entente, la voix de l’union, la voix de la fraternité, guidés par un seul berger, l’Amour.

Si les murs pouvaient parler, ils témoigneraient l’immense souffrance provoquée par la violence conjugale. Pourtant, la douleur, comme la racine d’une fleur, rompt la terre à la recherche du soleil, en créant de belles formes parfumées et colorées. Les fleurs ici représentent les efforts incessants déployés par les organisations de la société civile, les gouvernements, la sphère juridique, les médias, les professionnels de santé, les chercheurs, les scientifiques, les journalistes, les enseignants, les militants sociaux, et principalement, les citoyens. Jour après jour, l’ensemble de ces segments et l’initiative individuelle contribuent à faire en sorte que les statistiques de la violence soient une chose du passé, parce qu’ils croient en l’être humain et de sa transformation. « Ce qui sculpte notre Âme, ce sont les actions que nous pratiquons. Nous sommes ce que nous pensons et faisons », conclut Paiva Netto.

Article extrait de la revue BONNE VOLONTÉ Femme, publiée en 2013.