Au coeur des priorités mondiales

Pour la Directrice exécutive d’ONU Femmes, nous sommes à l’heure d’avancées audacieuses dans l’égalité des sexes.

De la rédaction

05/03/2015 à 21:18, Jeudi | Mis à jour le 22/09 à 16:57

Marco Grob

Directrice exécutive d'ONU Femmes, Phumzile Mlambo-Ngcuka.

Depuis sa prise de fonction, il y a près de deux ans, la Directrice exécutive d’ONU Femmes, Phumzile Mlambo-Ngcuka dirige l’organisation avec toute son expérience sur la question des droits des femmes, avec un fort leadership stratégique et une grande pratique administrative. En mai 2014, lors du lancement de la campagne internationale « Beijing+20 : Autonomisation des femmes, autonomisation de l’humanité : Imaginez ! », elle a fait remarquer que les peuples vivent un moment sans précédent dans l’histoire, où un effort collectif est fait afin d’atteindre les Objectifs du Millénaire pour le développement (OMD) d’ici à la fin de 2015 et un nouveau cadre de développement international : les Objectifs pour le développement durable (ODD). Elle a donc souligné : « Notre génération doit saisir cette opportunité unique de placer l’égalité des sexes, les droits des femmes et  l’autonomisation des femmes au coeur des priorités mondiales ».

Phumzile Mlambo-Ngcuka collectionne des passages marquants dans la vie politique de l’Afrique du Sud, son pays natal, où elle a été la première femme à occuper le poste de vice-présidente de 2005 à 2008. Elle a siégé au Parlement en 1994 et a présidé le Comité du portefeuille de la fonction publique. Elle a également été ministre adjointe au ministère du Commerce et de l’Industrie (1996-1999), ministre des Ressources minières et de l’Énergie (1999-2005) et ministre provisoire des Arts, de la Culture, des Sciences et de la Technologie (2004). Elle a créé la Fondation Umlambo en 2008 afin de soutenir les écoles des régions défavorisées d’Afrique du Sud par le biais du mentorat et de l’accompagnement de leurs enseignants, et du Malawi par l’amélioration ’établissements scolaires en collaboration avec des partenaires locaux.

Dans une interview exclusive à la revue BONNE VOLONTÉ, la Directrice exécutive a parlé, entre autres choses, du 20e anniversaire de la quatrième Conférence mondiale sur les femmes – qui a eu lieu en 1995 à Beijing, en Chine – et qui sera célébré lors de la 59e session de la Commission de la condition de la femme (CSW59). Selon elle, le moment actuel est idéal pour avancer audacieusement vers l’égalité des sexes et l’autonomisation des femmes et ainsi réduire le délai pour la mise en oeuvre de la Déclaration et du Programme d’action de Beijing afin que les femmes et les filles aient vraiment des droits égaux, jouissent de la même liberté et des mêmes chances dans tous les domaines de la vie.

BONNE VOLONTÉ — Depuis la quatrième Conférence mondiale sur les femmes, quelles ont été les plus grandes avancées dans la lutte pour l’égalité ?

Mlambo-Ngcuka — Nous avons franchi des étapes importantes au cours des vingt dernières années. Il existe une plus grande prise de conscience de la nécessité pour les femmes d’être sur un pied d’égalité dans toutes les sphères de participation politique et socio-économique. De nouvelles lois et de nouvelles politiques ont été adoptées pour favoriser l’égalité des sexes dans tous les domaines des activités publiques et privées. Des progrès significatifs ont été réalisés dans l’agenda politique mondial en ce qui concerne l’implication globale des femmes dans les initiatives de paix et de sécurité. Nous sommes près d’atteindre la parité des sexes dans l’enseignement  primaire, et, dans la plupart des régions, il y a actuellement plus de femmes inscrites dans les universités que d’hommes. Malgré ces conquêtes, (...) une femme sur trois est victime de violences sexuelles ou a déjà été maltraitée par son partenaire. Elles continuent à porter le fardeau du travail domestique non rémunéré et restent totalement sous-représentées dans le processus décisionnel, aussi bien dans la sphère publique que dans le secteur privé. Les femmes gagnent encore de 10% à 30% de moins que les hommes, elles sont concentrées dans les emplois précaires et informels, et un parlementaire sur cinq seulement est une femme.

UN Photo/ Albert González Farran

La chanteuse locale Ikram Idris interprète une chanson lors d’un événement de la campagne 16 jours d’activisme contre la violence envers les femmes organisée par l’unité de genre de la MINUAD à El Fasher, au Nord du Darfour, le 5 décembre 2013. L’initiative a eu l’objectif de sensibiliser le public sur les implications de la violence à l’égard des femmes dans les communautés et dans la vie des femmes et filles.

BV — Quelle est la plus grande préoccupation de l’agenda d’ONU Femmes pour le développement post-2015 ?

Mlambo-Ngcuka — Bien que les Objectifs du Millénaire pour le développement aient  entraîné des progrès significatifs, bien qu’ils aient attiré l’attention mondiale et  déclenché des actions dans le monde entier, les résultats obtenus sont inégaux et n’ont pas été très loin dans la résolution de questions structurelles importantes. Par exemple, l’OMD sur l’égalité des sexes et l’autonomie des femmes n’a pas abordé des questions telles que le droit des femmes à la propriété, le partage inégal des responsabilités en ce qui concerne la famille, le travail domestique, la santé et les droits sexuels et  reproductifs des femmes, la violence contre les filles et les femmes et la faible participation des femmes aux processus décisionnels à tous les niveaux. Le Forum économique mondial estime qu’au rythme actuel l’égalité des sexes en termes d’opportunités et de participation économique ne deviendra une réalité que d’ici à quatre-vingt-un ans. Nous ne pouvons pas attendre aussi longtemps. Les gouvernements doivent traiter en profondeur ces problèmes structurels pour que l’égalité des sexes puisse se concrétiser d’ici 2030. L’ONU Femmes défend donc l’objectif, indépendant de l’agenda de développement post-2015, d’atteindre l’égalité des sexes et de l’intégrer dans tous les autres domaines et objectifs prioritaires, avec des buts et des indicateurs bien définis.

BV — Si l’on fait une analyse des 20 ans du Programme d’action de Beijing et des 15 ans du Sommet du Millénaire, que devrait-on changer pour que les pays atteignent la parité entre les sexes ?

Mlambo-Ngcuka — Nous avons une énorme lacune à combler si nous voulons atteindre l’objectif de vivre dans un monde sans inégalité entre les sexes. Des normes sociales discriminatoires profondément enracinées persistent encore, ainsi que des stéréotypes et des pratiques qui entravent ce progrès. Dans certaines régions du monde, nous devons redoubler d’efforts et encourager la création d’espaces sûrs pour que les filles puissent aller à l’école et jouer un rôle professionnel et pour que les femmes puissent être candidates à des postes politiques sans être menacées ou intimidées. (...) Tous les secteurs du gouvernement devraient prendre leurs responsabilités et rendre compte de la mise en oeuvre des mesures prises pour la parité des sexes, des villages jusqu’aux villes, du sol de l’usine jusqu’aux couloirs du pouvoir. Les lois existantes doivent être respectées et là où il n’y a pas de lois, elles doivent être créées. Les 128 pays qui ont au moins une différence légale entre les femmes et les hommes doivent revoir leurs lois. Nous devons redéfinir ce que nous appelons le progrès et élever nos expectatives pour bondir audacieusement en avant au lieu d’avancer à petits pas. En septembre, nous  allons demander à chaque chef d’État de s’engager à un plan d’action, de suivre une  feuille de route qui assure aux femmes un avenir meilleur, et ils devront indiquer  comment seront employées les ressources pour ces nouveaux engagements.

Sâmara Caruso

La publication de la Légion de la Bonne Volonté pour la 58e session de la Commission de la condition de la femme est remise à la Secrétaire générale adjointe des Nations Unies et Directrice exécutive d’ONU Femmes, Phumzile MlamboNgcuka (à g.), par la représentante de la LBV Adriana Rocha.


BV — Quel est le rôle de l’Amérique latine dans ce contexte ? 

Mlambo-Ngcuka —
La région de l’Amérique latine et des Caraïbes est une source d’inspiration à bien des égards. Il y a des femmes remarquables qui sont chefs d’État et présidentes, par exemple, en Argentine, au Brésil et au Chili, ce dernier dont la  présidente Michelle Bachelet a été mon prédécesseur à ONU Femmes. La région possède les plus hauts niveaux de représentation des femmes au Parlement avec 26%. C’est aussi la première région qui a adopté un document obligatoire pour prévenir, punir  et éradiquer la violence contre les filles et les femmes : la Convention de Belém do Pará, de 1994. Cette importante convention a servi de base au document de la Convention du Conseil de l’Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique (Convention d’Istanbul), entrée en vigueur l’an dernier. L’Amérique latine et les Caraïbes ont fait des progrès importants vers l’indemnisation des victimes de violence sexuelle dans les conflits, vers la paix et la sécurité. En Colombie, par exemple, la société civile, soutenue par ONU Femmes, a réussi à défendre avec succès une analyse des genres plus ferme et une plus grande représentation des femmes dans les pourparlers de paix entre le gouvernement et les FARC [Forces armées révolutionnaires de Colombie].

BV — La LBV défend la nécessité de renforcer les questions de genre dans les programmes scolaires. À votre avis, quelle serait la meilleure stratégie pour rendre les pratiques éducatives plus sensibles à cette question ?

Mlambo-Ngcuka — Je félicite la Légion de la Bonne Volonté de l’importance qu’elle  donne au renforcement de la sensibilité au genre dans les pratiques éducatives. Tout comme vous, je crois fermement que les perspectives de genre doivent être renforcées dans l’éducation. (...) Comment faire pour que l’impact soit large et durable ? Renforcer la sensibilité au genre dans l’éducation ne signifie pas rajouter une composante de genre à des processus et à des stratégies qui sont intrinsèquement tendancieux dans ce sens. Par exemple, il ne suffit pas d’augmenter le nombre de professeures s’il n’y a pas d’initiatives pour transformer la manière d’enseigner et de réviser les programmes scolaires, afin d’offrir des possibilités d’apprentissage égales aux deux sexes. De même, accroître la scolarisation des filles dans des cours qui demeurent axés sur les intérêts des garçons est quelque chose qui ne va pas aboutir aux résultats souhaités. Nous devons revoir nos programmes scolaires et les méthodes d’enseignement, offrir des installations scolaires qui répondent aux besoins des filles et des garçons et garantir la sécurité et la protection des filles dans l’éducation. Nous devons aussi trouver des manières d’enseigner la science, la technologie, l’ingénierie et les mathématiques (connues sous le sigle anglais STEM), adaptées à elles de façon à ce que, à la sortie de  l’université, elles soient prêtes à affronter la concurrence sur un marché [du travail] de plus en plus tourné vers des emplois scientifiques et technologiques. Cela est  fondamental si nous voulons maintenir l’intérêt des filles et des femmes pour  l’éducation, afin qu’elles restent scolarisées plus longtemps et qu’elles en sortent avec des compétences pertinentes.